Confessions d'une religieuse by Sœur Emmanuelle

Confessions d'une religieuse by Sœur Emmanuelle

Auteur:Sœur Emmanuelle [Emmanuelle, Sœur]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature Française, Autobiographie
Éditeur: Blondie - La Gang
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00


Omou Sabah : face à la mort

Dans le deuxième bidonville où j'ai vécu, au Mokattam, la cabane d'Omou Sabah est à quelques mètres du nouveau dispensaire que nous avons bâti, sœur Sara et moi. J'ai rarement vu une chiffonnière aussi négligente. Une doctoresse a beau venir régulièrement pour les femmes enceintes, elle n'ira jamais la consulter. Sa masure est d'une saleté sans précédent : sous la paroi en tôle, filtre un filet jaunâtre qui provient de la bufflesse accroupie dans la cour... cela ne paraît pas la préoccuper outre mesure !

Je la rencontre un jour, haletant dans la ruelle. Je la ramène chez elle et l'étends doucement sur son grabat noirâtre tout en cherchant où poser mes pieds. J'appelle le docteur Aadel qui l'ausculte et me parle en français pour qu'elle ne comprenne pas : « La malheureuse a le cœur dans un état pitoyable. Elle me dit être enceinte de quelques mois, mais elle ne supportera jamais l'accouchement. Son cœur flanchera. Il faudrait qu'elle avorte au plus tôt. » L'alternative est brutale, mais elle seule a le droit de décider. Je dois lui dévoiler la vérité. Elle me fixe en silence. « Si tu veux, nous allons appeler ton mari, Omou Sabah. Parlez ensemble, mais la dernière décision te revient à toi seule. » Il arrive, nous attendons dehors, Aadel et moi, sur un tas d'ordures. Ce n'est pas long. Elle dit simplement :

« Je ne tuerai pas mon enfant.

– Omou Sabah, tu as compris ? Tu risques la mort ! »

Maout, mort, ce mot terrible qu'on ne prononce presque jamais en arabe, ne la trouble pas. Elle répète : « Je ne tuerai pas mon enfant. Ma vie et ma mort sont entre les mains de Dieu. » Elle caresse son ventre avec douceur. Son visage reflète une sérénité pleine de tendresse. Elle est déjà tout entière orientée vers ce petit être. Un seul désir l'habite : lui donner la vie... s'il le faut, sa propre vie ! En Europe, elle aurait avorté. Mais ici, loin de toute pression, elle laisse prévaloir son instinct maternel dans un héroïsme qui lui parait naturel.

Sœur Sara et moi, très inquiètes de son état, lui envoyons chaque jour un repas substantiel. Le dernier mois, nous l'emmenons à l'hôpital copte. Le soir où elle doit accoucher, le jeune médecin de garde s'affole : « Elle va mourir dans mes bras, son cœur est trop faible, je ne suis pas assez expérimenté, portez-la ailleurs. » Trois fois se répète le scénario : chariot, ascenseur, salle d'accouchement. La troisième fois, seule dans l'ascenseur, Omou Sabah accouche ! Le lendemain, nous la trouvons, radieuse, tenant dans ses bras un petit paquet de chair rose. Elle a encore vécu trois ans et est partie vers la maison du Père après un dernier regard de tendresse sur son beau petit Youssef. L'amour avait été plus fort que la mort !



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